Introduction

Le carcinome hépatocellulaire est la cause principale de décès chez le patient cirrhotique et la troisième cause de décès par cancer dans le monde. Lors du diagnostic, la survie spontanée est de l’ordre de 1 à 6 mois. Le pronostic dépend du stade évolutif de l’hépatopathie sous-jacente (fibrose évoluée ou cirrhose dans plus de 90% des cas) et du traitement anticancéreux qui pourra être prodigué. Les facteurs pronostiques principaux sont liés au statut tumoral (nombre et taille des nodules tumoraux, différenciation, invasion vasculaire et dissémination à distance), aux fonctions hépatiques (score de Child-Pugh, présence ou non d’une hypertension portale)et à l’état général du patient [1-4]. À l’exception d’une minorité de patients (10–20 %) qui sont des candidats idéaux pour les traitements potentiellement curatifs comme la transplantation hépatique, la résection chirurgicale ou la destruction percutanée, la majorité sera éligible pour des traitements palliatifs non chirurgicaux. Il est important de souligner que le carcinome hépatocellulaire est une tumeur qui nécessite une prise en soin multidisciplinaire (hépatologue, radiologiste, chirurgien, pathologiste, oncologue).

Classifications pronostiques

La classification d’Okuda a été la plus utilisée ; comme celle d’Okuda, les classifications : Child-Pugh, MELD1, CLIP2 ne prennent pas en compte le traitement. Seule la classification de Barcelona Clinic Liver Cancer (BCLC) [5] propose un algorithme de traitement (figure 1).

1Model for End stage Liver Disease
2Cancer of the Liver Italian Program

2011-FMC17

Traitements curatifs

Les méthodes de traitement à visée curative des lésions de carcinome hépatocellulaire sont actuellement représentées par la chirurgie d’exérèse hépatique, la transplantation hépatique et par les procédés de destruction focalisée.

La transplantation hépatique [2]

La transplantation hépatique représente un traitement à visée curative du carcinome hépatocellulaire qui a pour avantage de traiter également la maladie hépatique chronique sous-jacente lorsqu’elle est présente. Malheureusement, la pénurie actuelle de greffons issus de donneurs cadavériques impose une sélection très stricte des patients atteints de carcinome hépatocellulaire pouvant accéder à la transplantation hépatique en réservant cette indication à ceux ayant la meilleure espérance de vie.

Indication de la transplantation hépatique

Actuellement, les « critères de Milan » (une tumeur inférieure ou égale à 5 cm de diamètre ou jusqu’à trois tumeurs inférieures ou égales à 3 cm chacune, sans envahissement vasculaire macroscopique) représentent un standard pour les indications de transplantation hépatique pour carcinome hépatocellulaire. Ces critères sont cependant probablement trop sélectifs et basés sur la qualité de l’imagerie préopératoire. Les progrès récents de l’imagerie permettent de détecter des nodules de petites tailles, non visualisables par le passé, ce qui nécessite d’affiner encore plus ces critères de transplantation hépatique. Plus récemment, Mazzaferro et al. [6] ont montré dans une série rétrospective multicentrique de plus de 1500 patients que les « critères de Milan » pouvaient être élargis sans diminuer la survie des patients. Ils proposaient de nouveaux critères up to seven pour définir les indications de transplantation hépatique pour un carcinome hépatocellulaire en retenant les patients lorsque le score ne dépassait pas 7 (ce qui correspond au diamètre en centimètres du plus gros nodule de carcinome hépatocellulaire auquel est ajouté le nombre de nodules de carcinome hépatocellulaire).

Résultats de la transplantation hépatique

Dans le registre européen de transplantation hépatique, le taux de survie est de 59 % à cinq ans et de 46 % à dix ans chez les patients transplantés pour carcinome hépatocellulaire depuis 1988, en sachant qu’au départ, la transplantation était envisagée chez des patients atteints d’un carcinome hépatocellulaire plus évolué hors « critères de Milan ». En France, des résultats proches ont été rapportés récemment par l’Agence de la biomédecine avec un taux de survie de 65 % à cinq ans et de 55 % à dix ans. Le taux de survie était de 73 % à cinq ans et de 69 % à dix ans dans l’étude de Mazzaferro et al pour les patients satisfaisants aux « critères de Milan ». La surveillance post-transplantation se fait selon des modalités discutées avec le centre de transplantation hépatique.

Hépatectomie pour carcinome hépatocellulaire [2]

L’objectif est de proposer une chirurgie à visée curative en laissant suffisamment de foie fonctionnel en place. Lorsque la lésion se développe sur foie sain, et si elle le nécessite, une hépatectomie majeure ne laissant en place que 25 % de foie peut être réalisée alors qu’en présence d’un foie pathologique, la diminution des réserves fonctionnelles hépatiques conditionne les possibilités de l’étendue de l’hépatectomie et expose le patient à un risque d’insuffisance hépatique postopératoire. En en cas de cirrhose, il faut laisser en place au moins 50 % du futur foie non tumoral restant. Il est capital d’apprécier au mieux en préopératoire les rapports vasculaires de la lésion, la présence de nodules satellites, les thromboses vasculaires néoplasiques et de les différencier des thromboses cruoriques (notamment par la cinétique de prise de contraste du thrombus en imagerie). Une analyse fonctionnelle et volumétrique du futur foie restant doit être réalisée. La présence de métastases extrahépatiques, de lésions multiples bilobaires ou d’envahissement de la convergence biliaire avec thrombus vasculaire extensif notamment du système cave, représentent des contre-indications à l’exérèse.

Indications

En pratique, les carcinomes hépatocellulaires de tailles limitées (< 5 cm), unilobaires et développés sur une cirrhose non décompensée représentent des indications potentielles de traitement chirurgical.

Résultats des hépatectomies pour carcinome hépatocellulaire

L’exérèse hépatique sur foie de cirrhose expose à un taux de morbidité postopératoire de 30 à 50 %. L’insuffisance hépatique postopératoire Elle représente la complication la plus sévère puisqu’elle est la première cause de décès. Le taux de survie dans les séries occidentales est de 80 % à un an et de 40 % à cinq ans. A long terme, le risque principal est représenté par la récidive tumorale intrahépatique, dont le taux est estimé à 60–80 % à cinq ans.
Après résection la surveillance est clinique, biologique (tests hépatiques et alphafoetoprotéine), échographique (tous les 3 mois la première année puis tous les 6 mois) et une radiographie pulmonaire tous les 6 mois [7].

Destruction percutanée

La destruction percutanée des carcinomes hépatocellulaires peut être obtenue par l’utilisation de moyens chimiques ou physiques. L’alcoolisation est le traitement à visée curative le plus ancien. La radiofréquence a été utilisée en clinique depuis 1996. Les autres moyens physiques de destruction reposent, soit sur la chaleur (photocoagulation par laser, thermocoagulation par microondes, ultrasons focalisés de haute intensité), soit sur le froid aboutissant à une congélation rapide des tissus, suivi d’un réchauffement létal (cryothérapie), mais nous n’aborderons ici que l’alcoolisation, l’acétisation et la radiofréquence.

L’ablation tumorale chimique [8]

Elle fait appel à l’injection locale intra-tumorale le plus souvent guidée par échographie d’un produit cytotoxique : injection percutanée d’alcool absolu ou d’acide acétique.

  • Injection percutanée d’alcool absolu

Le principe de l'injection d'alcool dans les carcinomes hépatocellulaires est basé d'une part sur la différence de structure entre la tumeur qui est de consistance molle et le foie adjacent, habituellement cirrhotique et dur, permettant à l'alcool d'être confiné dans la tumeur ; d'autre part sur la toxicité liée à l'alcool qui exerce son action sur la déshydratation cellulaire entraînant une nécrose de coagulation et sur la thrombose artérielle intra-tumorale entraînant une ischémie tumorale.

L’indication majeure concerne les tumeurs de petites tailles allant jusqu'à 3 ou 5 cm de diamètre, un nombre de tumeurs inférieur ou égal à 3, chez des sujets ayant une contre-indication chirurgicale, soit en raison de la gravité de la maladie hépatique (Child B ou C) soit due à une autre origine.

Les meilleurs résultats sont obtenus avec les tumeurs de petite taille (<3 cm) avec une nécrose complète 80 à 100 %. La récidive à 5 ans varie entre 60 et 83 %. La distribution intra-tumorale de l'alcool est aléatoire, en raison de la présence de septa fibreux. Cette limite a été palliée par l'utilisation d'acide acétique.

Thermoablation par radiofréquence [9]

Le courant de radiofréquence est un courant sinusoïdal de 400 à 500 kHz. La forte densité de courant dans les tissues proches de l’électrode induit une agitation ionique, qui, par friction entre les particules, produit un échauffement de ces tissus. Le but recherché est d’exposer les cellules tumorales à une température supérieure à 60◦ C, qui provoque quasi immédiatement une dénaturation cellulaire irréversible. La radiofréquence peut être réalisée par voie percutanée, peropératoire ou coelioscopique, en association ou non à un geste de résection. Le geste nécessite une anesthésie générale ou une sédation profonde en raison des douleurs liées à la destruction tissulaire et de la capsule hépatique.

Indications et résultats

La radiofréquence a comme avantage son faible taux de complications chez des patients plus fragiles et l’épargne de tissu hépatique fonctionnel en comparaison avec la chirurgie. Néanmoins, elle doit être réservée à des patients présentant une cirrhose non décompensée, Child A ou B.
L’indication idéale concerne les lésions de moins de 3 cm, le traitement de lésions entre 3 et 5 cm de diamètre nécessitant plusieurs applications ou la mise en place simultanée de plusieurs électrodes.
Le nombre de lésions ne doit raisonnablement pas dépasser trois à quatre nodules. Il faut insister sur la nécessité d’obtenir des marges de sécurité correctes pour assurer son traitement curatif dans plus de 90 % des cas. Le taux de récidive locale a été estimé entre 1,3 et 14 % à un an, 1,7 et 24 % à deux ans et 1,7 à 30 % à trois ans.

Surveillance

Scanner ou IRM (avec injection de contraste) 1 à 6 mois plus tard, puis tous les 6 mois. Le reste de la surveillance est la même qu’après la résection [7].

Traitements palliatifs

La majorité des patients atteints d’un carcinome hépatocellulaire ne peuvent pas bénéficier des traitements chirurgicaux. La chimio-embolisation intra-artérielle hépatique est le gold-standard des formes multifocales intrahépatiques et le sorafénib des carcinomes hépatocellulaires avec extension veineuse portale ou métastatique à distance, amenant des gains modestes mais significatifs de la survie. La radiothérapie de conformation, la radioembolisation sont des méthodes en évaluation qui pour l’instant ne sont pas encore inclus dans les algorithmes thérapeutiques.

Chimioembolisation [9]

La chimioembolisation est certainement le traitement du carcinome hépatocellulaire le plus répandu dans le monde.

Indications

Les indications retenues de la chimioembolisation sont les carcinomes hépatocellulaires multifocaux, pour lesquels un traitement chirurgical ou par radiofréquence, donc potentiellement curatif, ne peut être proposé. Elle peut aussi permettre d’attendre la transplantation en présence de lésions évolutives.

Principe du traitement

Le principe du traitement par chimioembolisation est fondé sur la nature essentiellement artérielle de la vascularisation tumorale du carcinome hépatocellulaire: c’est l’association d’une chimiothérapie intra-artérielle (doxorubicine, mitomycine ou cisplatine, seuls ou en association) la plus sélective possible dans les artères nourricières du processus tumoral, et d’une embolisation artérielle, le plus souvent par gélatine résorbable ou par microparticules. La chimiothérapie est émulsionnée avec du lipiodol ultrafluide, qui sert de vecteur aux antimitotiques par fixation au sein des vaisseaux intratumoraux et non détruit par les cellules de Küpffer, absentes du tissu tumoral. L’ischémie tumorale induite par l’embolisation augmente le temps de contact de la chimiothérapie avec les cellules tumorales et potentialise la nécrose tumorale. Ainsi, la chimioembolisation diminue le taux systémique des antimitotiques (et donc leurs effets secondaires), multiplie par 100 leur concentration antitumorale et augmente leur demi-vie dans la tumeur. Enfin, une nécrose tumorale est plus efficacement obtenue si le cathétérisme intra-artériel est hypersélectif.

Résultats

La chimioembolisation, longtemps controversée en raison de la multiplicité des protocoles, connaît un regain d’indication depuis 2002. Dans l’étude plus récente de Brown et al. en 2008 [10], la durée moyenne de survie était de presque deux ans, cela suite à une sélection plus appropriée des patients avec des fonctions hépatiques conservées.

La réponse au traitement se base sur la fixation lipiodolée intratumorale et l’absence de résidu tumoral hypervasculaire sur le scanner de contrôle réalisé entre quatre et six semaines après le geste. Une chimioembolisation itérative est proposée, «à la demande » en fonction de la reprise évolutive tumorale.

Sorafenib

Le sorafénib, anti-angiogénique inhibiteur des récepteurs du vascular endothelial growth factor (VEGF) et du platelet-derived growth factor (PDGF) ainsi qu’inhibiteur des mitogen-activated protein (MAP) kinases, est le premier traitement systémique qui ait démontré un effet significatif sur la survie des patients atteints de carcinome hépatocellulaire. Il a été constaté un allongement significatif de la survie globale (médiane de 10,7 mois contre 7,9 mois) et de la survie sans progression (5,5 mois contre 2,8 mois) chez les malades traités par sorafénib. Suite à ces résultats, cette molécule a bénéficié d’une obtention d’autorisation de mise sur le marché en octobre 2007, et il est clairement réservé pour l’instant aux patients qui ne peuvent pas bénéficier de transplantation hépatique, résection chirurgicale, radiofréquence percutanée ou chimio-embolisation intra-artérielle hépatique [1, 11]. Le principal facteur limitant en Afrique, reste le coût : 3962 euros soit plus de 2,5 millions FCFA pour un traitement de 28 jours aux doses usuelles.

Les traitements systémiques

Le carcinome hépatocellulaire est une tumeur résistante aux agents antimitotiques avec lesquels les taux de réponse tumorale et de survie sont décevants. Ces échecs peuvent être expliqués, au moins en partie, par l’hyperexpression des gènes codant pour les protéines du système multidrug resistance. L’hormonothérapie (somatostatine, anti-estrogènes et anti-androgènes) est également inefficace dans le traitement du carcinome hépatocellulaire [1, 12].

Soutien psychologique et traitement symptomatique

Face au carcinome hépatocellulaire, l’issue fatale est en général la règle, ce qui est humainement difficile. Au moment où ils sont le plus vulnérable, bien souvent nos malades sont abandonnés à eux-mêmes. Ce qui manque le plus n’est pas l’assistance matérielle et médicale, même si elle est loin d’être toujours satisfaisante, mais le réconfort moral ; d’où l’importance centrale de l’aide aux mourants. En plus du traitement antalgique, celui de la dépression due à un cancer est bien souvent le traitement le plus efficace. Il peut améliorer le patient au moins pendant quelques mois sur le plan psychique, mais aussi du point de vue des douleurs et de la qualité de vie globale. Hélas la dépression associée au cancer est souvent méconnu.

Conclusion

Les meilleures stratégies restent la prévention (vaccination contre le virus B, prévention de la transmission sanguine et sexuelle), le traitement antiviral B et C des sujets infectés et enfin le dépistage du carcinome hépatocellulaire chez les sujets à risque (échographie ± AFP). Le carcinome hépatocellulaire étant une tumeur de pronostic défavorable, l’amélioration de la survie de nos patients exige de bien les sélectionner à un stade précoce de l’évolution tumorale et de leur maladie cirrhotique mais aussi des comorditités. Il est important de rappeler et de souligner que le carcinome hépatocellulaire est une tumeur qui nécessite une prise en soin par une équipe pluridisciplinaire au sein de laquelle l’hépatologue joue un rôle central.

Références

  1. Merle P, Mornex F. Prise en charge non chirurgicale du carcinome hépatocellulaire. Cancer/Radiothérapie 14 (2010) 469–473
  2. Mabrut JY, Ducerf C. Prise en charge chirurgicale du carcinome hépatocellulaire en 2010. Cancer/Radiothérapie 15 (2011) 13–20
  3. El-Serag HB, Mason AC. Rising incidence of hepatocellular carcinoma in the United States. N Engl J Med 1999;340:745–50.
  4. Parkin DM, Bray F, Ferlay J, Pisani P. Global cancer statistics 2002. CA Cancer J Clin 2005;55:74–108.
  5. Barbare JC, Boudjéma K, Pelletier G, Trinchet JC. Carcinome hépatocellulaire recommandations FFCD 2005
  6. Mazzaferro V, Llovet JM, Miceli R, Bhoori S, Schiavo M, Mariani L et al. Predicting survival after liver transplantation in patients with hepatocellular carcinoma beyond the Milan criteria: a retrospective, exploratory analysis. Lancet Oncol 2009; 10: 35–43
  7. Thérausus national de cancérologie digestive 2010.
  8. Giovannini M. Le traitement percutané du carcinome hépatocellulaire. Quelle technique choisir ? Cancéro dig. Vol. 1 N° 2 - 2009 - 96-103
  9. Rode A. Traitement radiologique du carcinome hépatocellulaire en 2010. Cancer/Radiothérapie 15 (2011) 21–27
  10. Brown DB, Chapman WC, Cook RD, Kerr JR, Goulg JE, Pilgram TK et al. Chemoembolization of Hepatocellular Carcinoma: Patient Status at Presentation and Outcome over 15 Years at a Single Center. AJR 2008; 190:608–615
  11. Cheng AL, Kang YK, Chen Z, Tsao CJ, Qin S, Kim JS et al. Effi cacy and safety of sorafenib in patients in the Asia-Pacifi c region with advanced hepatocellular carcinoma: a phase III randomised, double-blind, placebo-controlled trial. Lancet Oncol 2009; 10: 25–34
  12. Bruix J, Sherman M. Management of Hepatocellular Carcinoma: An Update. HEPATOLOGY, Vol. 53, No. 3, 2011
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